- JUDAÏSME - L’art juif
- JUDAÏSME - L’art juifLes arts plastiques constituent le domaine le plus controversé – mais aussi le moins connu – de la civilisation juive. L’embarras des historiens de l’art pour définir la spécificité des créations artistiques issues de la tradition juive s’explique par l’absence, souvent évoquée, d’un style homogène, qui serait commun à toutes les œuvres issues de la tradition juive. Or, une histoire trois fois millénaire et les vastes étendues où celle-ci se déroulait – pas moins de quatre continents – peuvent pleinement justifier la grande diversification stylistique de cette production artistique. Mais au-delà de cette diversité des formes d’expression, ces œuvres se signalent par l’originalité et la spécificité des concepts dont elles sont porteuses, ainsi que par un certain nombre de créations qui ont servi de fondement à l’élaboration de l’art européen. C’est en effet au sein de la civilisation juive que fut inauguré un nouveau type d’édifice cultuel: la salle de prière ouverte à l’assemblée des fidèles, disposition adoptée jusqu’à nos jours pour toute architecture religieuse en Occident. C’est également l’art juif qui créa les premières transpositions visuelles du récit biblique, une iconographie qui demeura le thème majeur de l’art européen pendant plus d’un millénaire. Certes, des thèmes particuliers, notamment les représentations de la divinité, sont proscrits sans concession, en raison de la conception de la transcendance de Dieu, fondement même de la religion juive, dont le deuxième commandement («Tu ne feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux...») n’est qu’une application aux arts. Toutefois, l’interdiction formulée par ce commandement, il n’est pas inutile de le préciser, ne concerne que l’utilisation cultuelle des images divines, et non pas, comme on a tendance à le faire croire, toute représentation d’êtres animés. Il est vrai également que l’épanouissement de l’art juif fut souvent entravé par des conditions historiques contraignantes. Néanmoins, cent ans de découvertes archéologiques – souvent retentissantes – ainsi que cinquante ans de recherches intenses permettent aujourd’hui de tracer les grandes lignes de l’histoire d’un art dont la connaissance est aussi indispensable à la compréhension des aspects fondamentaux de l’art européen que la connaissance de la Bible l’est à celle de la culture de l’Occident.Les patriarchesLa période des trois grandes figures auxquelles la tradition attribue la fondation du judaïsme, – Abraham, Isaac et Jacob – s’étend, selon des évaluations quelque peu conjecturales, du début du IIe millénaire aux environs du milieu du XIIIe siècle avant l’ère chrétienne. La critique moderne s’interroge sur l’historicité des événements qui jalonnent leur carrière, consignés dans le livre biblique de la Genèse. Étant donné le rôle fondamental que jouent les patriarches dans la littérature sacrée, dans la liturgie, dans l’imaginaire populaire, et par conséquent dans les arts, les éventuelles conclusions de la critique historique peuvent paraître d’une portée limitée. Aucun vestige archéologique ne nous est parvenu de cette période, et même les repères fournis par les fortifications de cités construites alors et mises au jour sur la rive occidentale du Jourdain par les fouilles à Dan, Hatsor, Megiddo, Gézer et Sichem ne sont pas pertinents, car les pères fondateurs du judaïsme étaient des bergers nomades, qui se déplaçaient à travers le pays de Canaan au gré d’événements naturels – sécheresse, famine, recherche de pâturages –, marquant les points névralgiques du pays par des actes symboliques – forage de puits, plantation d’arbres – à chacun de leurs passages. Les deux événements majeurs qui se rattachent à leur histoire sont l’alliance conclue avec le Dieu qui se manifesta à eux comme le Dieu unique, le Dieu d’Israël, et l’émergence d’un concept nouveau: la terre sacrée, Canaan, promise au peuple élu, les Hébreux, descendants des patriarches. Ces deux concepts ont façonné l’histoire du peuple juif, depuis ses origines jusqu’à l’époque contemporaine.Le sanctuaire du désertAprès un séjour prolongé en Égypte – à la suite d’une famine –, les Hébreux regagnèrent leur liberté sous la conduite d’un chef charismatique, Moïse, pour retourner à la terre qui leur était promise, Canaan. Selon les repères chronologiques, la sortie d’Égypte eut lieu au milieu du règne de Ramsès II, vers les années 1260-1250. Le retour vers Canaan s’effectua en plusieurs étapes, s’étendant sur environ quarante ans. Au cours de la traversée du désert, lors d’une théophanie au mont Sinaï, Moïse reçut les Dix Commandements (le Décalogue), gravés sur deux tables de pierre. Cette révélation permit aux tribus nomades de se constituer en une société organisée, régie par des lois qui définissaient les actes de la vie quotidienne, ainsi que le culte et ses accessoires. Dans le désert fut également érigé le premier sanctuaire, une tente, nommée Tente de la Réunion, renfermant un Tabernacle dont le point sacré était l’Arche d’alliance contenant les Tables de la Loi. Décrite avec un grand luxe de détails dans la Bible (Exode, XXV-XXXVII), la Tente de Réunion était probablement semblable aux temples portatifs bien connus chez les tribus nomades, tant anciennes que modernes. Elle s’en distinguait toutefois sur un point essentiel: l’absence de toute image de la divinité en son sein. Innovation révolutionnaire et hautement symbolique, cette absence de toute forme prêtée au Dieu transcendant des Hébreux fut, et demeura, un trait fondamental de la production artistique suscitée par la nouvelle religion. À l’image absente de la divinité se substitua, d’une certaine façon, celle de l’Arche: celle-ci, accompagnée des représentations d’autres accessoires du culte, telle la menora , le candélabre à sept branches, devait occuper dans l’art juif de tous les temps une fonction quasi iconique.La monarchie: le Temple de SalomonLe lent processus d’infiltration – terme correspondant mieux aux réalités que celui de «conquête» – des Hébreux en Canaan eut lieu à l’Âge du fer I, d’environ 1200 à 1000 avant notre ère. L’émergence d’une civilisation rudimentaire, l’établissement de cités modestes, rapportés dans le Livre de Josué, sont confirmés par les fouilles archéologiques. Le véritable changement intervint avec l’unification des tribus sous la royauté de Saül (1020-1010), unification menée à terme par son successeur, David (env. 1004 à 965), grâce à l’acquisition de Jérusalem, la cité des Jébuséens, dont le nouveau roi fit la capitale du royaume. Centre à la fois politique et spirituel, Jérusalem devint le symbole de l’unité du peuple hébreu et le lieu du culte centralisé. La construction du Temple, entreprise à l’instigation de David et réalisée par son fils Salomon (970 à 930), ainsi que celle du palais royal attenant, avec sa grande salle hypostyle aux colonnes de cèdre, appelé la Maison de la forêt du Liban, acheva de donner à la nouvelle cité l’éclat d’une grande capitale.Selon le Livre des Rois (VI et VII), Salomon consacra sept années de son règne à la construction du Temple. L’édifice comportait trois parties, un vestibule, ulam , une salle de culte, le Saint, ou hekhal , et le devir , appelé plus tard le Saint des saints. Bien que le texte biblique abonde en détails concernant les dimensions, toute reconstitution reste hypothétique, car aucune indication n’est donnée sur l’épaisseur des murs. Deux colonnes, nommées Yakin (ou Jachin) et Boaz, étaient placées devant l’édifice, selon l’interprétation des uns, ou intégrées à la structure du vestibule suivant le modèle des bit hilani sémitiques, selon d’autres. Malgré les nombreuses incertitudes qui subsistent quant à l’aspect réel de l’édifice, et malgré l’absence de tout vestige archéologique, la magnificence du Temple de Salomon est restée à jamais gravée dans la mémoire collective des Juifs.L’unique vestige archéologique qui se rattache peut-être au Temple fut découvert en 1979. Il s’agit d’une grenade d’ivoire, de dimensions modestes (4,3 cm de hauteur et 2,1 cm de diamètre à la partie bombée, collection particulière, Jérusalem), qui porte l’inscription en écriture paléohébraïque «Appartenant au tem[ple de YHW]H, chose sainte pour les prêtres». L’objet, probablement un pommeau de sceptre, est daté du VIIIe siècle avant notre ère. Par ailleurs, un florissant artisanat d’ivoire est attesté par les fouilles: d’importantes collections d’ivoires furent découvertes dans plusieurs centres, notamment à Samarie. Plus de cinq cents plaques sculptées et ajourées, destinées à décorer les lits, les trônes et les sièges, constituent le plus prestigieux trésor d’art somptuaire du Levant. Production locale, ou pièces importées – la question est encore ouverte –, ces ivoires apportent aussi une éclatante illustration aux descriptions du Livre des Rois concernant le mobilier somptueux du palais de Salomon (I Rois, X). Les sujets appartiennent au répertoire traditionnel de l’art égyptien, auquel se mêlent des thèmes syro-phéniciens, l’ensemble étant traité avec une grande liberté et une technique raffinée. Parmi les thèmes les plus fréquents, on relève l’«arbre sacré», des combats d’animaux, des têtes de sphinx, des lions accroupis, la vache allaitant son veau. Les pièces les plus célèbres représentent «la femme à la fenêtre», évoquant le culte d’une déesse d’amour, bien connu à Chypre. La femme à la fenêtre serait la servante de la déesse qui, à l’imitation de sa maîtresse, se montrait à la fenêtre pour solliciter le passant.L’époque royale fut aussi celle du développement de l’écriture alphabétique, dont les premiers témoins, datant du XVIIe siècle, proviennent de Canaan. Le système alphabétique, comportant vingt à trente signes, représentait un progrès considérable par rapport aux systèmes des écritures cunéiforme et hiéroglyphique, nécessitant l’une et l’autre un très grand nombre de signes. L’alphabet hébraïque originel dérive de l’alphabet phénicien. Le plus ancien témoin qui en atteste l’usage est la stèle de Mesha, du IXe siècle, dont l’inscription moabite, en caractères proches de l’hébreu, commémore l’expédition des rois d’Israël, de Juda et d’Édom contre Mesha, roi de Moab (expédition mentionnée dans II Rois III, 4-27). Une inscription célèbre fut trouvée dans le canal de Siloé: elle relate les travaux effectués en vue d’un aqueduc et les archéologues la datent de l’époque du roi Ézéchias (716-687).Après la division de la monarchie sous les successeurs de Salomon, les deux royaumes d’Israël et de Juda, fragilisés par leurs dissensions, offraient un terrain facile aux ambitions des rois assyriens. En 721, Samarie fut prise par Salmanazar V. La population, déportée, fut en partie remplacée par des colons assyriens. Malgré un bref sursaut de la conscience nationale et religieuse sous Josias (640-609), le royaume de Juda succomba à son tour au nouvel Empire babylonien. En 587-586, à l’issue d’un siège de trois ans, Nabuchodonosor prit Jérusalem, incendia le Temple, qui avait été dépouillé de son mobilier, et déporta la population de la ville.La prise de Jérusalem marqua la fin de la période du premier Temple. Durant les six siècles qui la constituèrent, le peuple hébreu forgea son identité et accéda au rang de grande nation. De cette période, qui reste dans la mémoire du peuple juif, malgré sa conclusion tragique, comme la plus glorieuse de son histoire, seule survit l’image impérissable du Temple, que l’art juif n’a jamais cessé d’évoquer en tant que symbole de la grandeur nationale du passé, en même temps que de la restauration attendue.Le second TempleL’essor du nouvel Empire perse mit fin à l’exil du peuple juif. En 538, Cyrus II, ayant conquis Babylone, autorisa les Juifs à rentrer en Judée et à reconstruire le Temple. Le compte rendu des travaux (Esdras, V-VI) ne donne aucune information concernant l’aspect du nouvel édifice. On suppose qu’il était beaucoup plus modeste que celui qu’il devait remplacer. L’inauguration du culte eut lieu en l’an 515, sous le règne de Darius.Le véritable bouleversement dans la vie culturelle du Proche-Orient survint avec la conquête d’Alexandre le Grand, en 333 avant notre ère. En même temps que la domination politique, cette conquête introduisit la culture grecque dans le monde intellectuel jusqu’alors homogène de l’Orient. De l’interpénétration de deux sensibilités profondément distinctes émergea un courant artistique caractérisé par la modification des modèles grecs sous l’influence des traditions locales.Malgré la lutte acharnée des Hasmonéens (166 à 63 avant notre ère) pour la défense de la culture traditionnelle, l’ère des grandes constructions, modelées sur celles des monarques hellénistiques du Proche-Orient, fut inaugurée dès leur règne. De leurs palais, à Jérusalem et aux alentours, peu de vestiges survivent. Cette période est aussi marquée par la création d’une symbolique composée de thèmes traditionnels – menora, gerbe de la fête des Tentes – décorant certains objets (lampes, monnaies...).La résistance des Hasmonéens fut brisée par l’avancée de l’armée romaine en Orient, aboutissant à la prise de Jérusalem par Pompée en 65. La Judée devint une province de l’Empire, administrée par des gouverneurs nommés par Rome. La grande tension qui suivit fut apaisée lorsque l’Iduméen Hérode conquit Jérusalem et, grâce au soutien du sénat, inaugura effectivement l’exercice de sa fonction royale en 37. La paix, et la relative opulence qui marquèrent le début de son règne, permirent à Hérode de réaliser des constructions grandioses. Sa plus haute ambition était de rendre au Temple sa grandeur et son éclat, opération destinée à vaincre la réticence des Juifs à son égard.Jusqu’à l’époque contemporaine, le second Temple n’était connu que par des sources écrites, principalement les descriptions qu’en donne Flavius Josèphe, l’historien juif, dans sa fresque historique Antiquités judaïques (XV, paragr. 380-402 et 410-425). Les fouilles, entreprises depuis les années 1950, en ont dégagé certaines parties. Elles ont surtout apporté la preuve de la fiabilité parfaite des informations fournies par Flavius Josèphe. Le sanctuaire s’élevait au milieu d’une vaste esplanade, au sommet d’une succession de terrasses étagées, entourées d’enceintes. La première enceinte, accessible à tous, était entourée d’un portique à colonnades de trois côtés, qu’interrompait du côté sud la «basilique royale». Les fouilles ont dégagé une partie de cette basilique, avec les passages souterrains connus sous le nom de «Porte double» et «Porte triple» qui y donnaient accès. Le parvis était délimité par une barrière, sur laquelle étaient fixées à intervalles réguliers, des stèles inscrites en latin et en grec, interdisant aux étrangers d’aller plus loin. Deux de ces stèles ont été mises au jour, dont l’une portant une inscription presque intacte. Au-delà de la barrière était le parvis des Femmes, ouvert à toute Juive de Palestine ou de la Diaspora. Du côté occidental, quinze marches menaient au parvis des Israélites. Seuls les prêtres et les lévites pouvaient accéder au parvis où se trouvaient l’autel des sacrifices et sa rampe. Le Temple proprement dit se dressait à l’extrémité occidentale du parvis, dans son axe médian. Une ouverture haute de 50 coudées donnait accès au Saint. Elle était, selon l’historien, surmontée par une vigne d’or d’où pendaient «des grappes de la taille d’un homme». Il s’agissait sans doute de la décoration de la porte principale, dont les hypogées autour de Jérusalem offrent de nombreuses analogies. Selon Flavius Josèphe, le Saint des saints était vide, habité par la seule Présence divine. Aucune information n’est donnée sur la décoration intérieure. Du mobilier, l’historien mentionne l’autel d’encens, la table des pains, et surtout la menora, objet d’un commentaire sur le symbolisme planétaire des sept branches. La description qu’en donne Flavius Josèphe est confirmée par le candélabre qui figure sur le bas-relief de l’arc de Titus, érigé par Domitien à Rome en 81, où sont évoqués le cortège triomphal ainsi que le butin saisi dans le Temple.Les fouilles ont également dégagé l’arche de Robinson, qui enjambait la rue conduisant de la forteresse Antonia, à l’angle nord-ouest de l’enceinte, à la piscine de Siloé, située au sud. Parmi les fragments d’architecture mis au jour se trouvait un grand bloc de pierre autour de l’angle sud-ouest portant en caractères hébraïques de type hérodien une inscription qui indique: «Pour le lieu de la sonnerie...» Ce fragment provient du lieu où l’un des prêtres se tenait la veille du sabbat pour annoncer au son de la trompette la tombée de la nuit. L’usage en est mentionné tant par Flavius Josèphe que par la Mishna (recueil des lois rabbiniques).Outre les grands travaux entrepris pour la restauration du Temple, Hérode dota le pays d’un véritable réseau de palais et de forteresses. De ses deux palais, celui de Jérusalem et celui de Jéricho, seules subsistent les fondations. Les vestiges des deux palais les plus célèbres, à Hérodion et à Massada, laissent encore entrevoir leur magnificence d’antan.À Massada et dans le quartier résidentiel de Jérusalem, plusieurs mosaïques au décor géométrique ainsi que des fragments de fresques conservées in situ témoignent d’un artisanat florissant. Le grand nombre de fragments de verre soufflé trouvés à Jérusalem même permet de penser qu’il s’agissait d’une production locale.À l’époque du second Temple, Jérusalem était ceinte d’une vaste nécropole qui entourait la cité au sud, à l’est et au nord. Les monuments funéraires dotés d’une façade monumentale – tombeaux des Bené Hezir, de Zacharie, d’Absalon, et de la reine Hélène d’Adiabène – se signalent par un décor associant des éléments de provenances diverses – grecque traitée en variantes dorique et ionique, structures de style égyptien –, interprétés librement. Dans la décoration des sarcophages et des ossuaires, les traditions ornementales de l’Orient prédominent. Les ossuaires, petits sarcophages de calcaire tendre, répondaient à la pratique funéraire appelée ossilegium , destinée à recueillir les os décharnés, pour libérer de la place dans les tombeaux. Leur décor sculpté se compose d’un nombre restreint d’éléments géométriques, indéfiniment variés, exécutés par les moyens techniques les plus simples, et toujours réparties symétriquement, l’accent étant mis sur l’effet optique obtenu par l’alternance de surfaces lumineuses et de sillons sombres. Le décor des sarcophages porte parfois des motifs végétaux – acanthes, rinceaux, vignes –, dans une interprétation assez libre des modèles hellénistiques.Malgré l’apparent bien-être de la société juive sous Hérode et ses successeurs, la tension entre les partis défendant les valeurs traditionnelles et Rome demeura intense. La nouvelle organisation du monde que Rome, devenue maîtresse de la Méditerranée orientale, y imposa fut refusée par les Juifs. Ce refus finit par provoquer au Ier siècle de notre ère, la guerre sanglante de 66-70, qui s’acheva par la destruction du Temple et de Jérusalem. Les vainqueurs émirent une médaille commémorative représentant un palmier, l’emblème de la Judée vaincue, flanqué d’un côté par Titus en tenue militaire, de l’autre par une figure féminine assise sous l’arbre – le peuple juif en deuil. La légende portée sur le pourtour, «Judaea capta », exprime l’événement de façon laconique, qui fut ressenti par les Juifs comme la tragédie majeure de leur histoire. La destruction du Temple, et la perte corollaire du centre spirituel et politique du judaïsme, marqua la fin de la période du second Temple.La synagogue: peintures murales et mosaïquesLa destruction du Temple entraîna une transformation en profondeur des institutions du judaïsme. Le culte sacrificiel, limité au Temple et réservé aux seuls prêtres, fut remplacé par une liturgie composée de prières et de lectures, accessible à tous les fidèles. Les salles où se déroulaient ces cérémonies étaient conçues pour recevoir l’ensemble de la communauté. Alors que, selon la tradition, il ne devait y avoir qu’un seul Temple, le nombre des synagogues n’était pas confiné à un espace limité.Dans la Diaspora, des synagogues existaient depuis le IIIe siècle avant notre ère. Il semble que des salles de prière étaient en fonction en Palestine même, alors que le Temple existait encore. Le véritable essor de l’architecture des synagogues commence aux IIIe-IVe siècles de notre ère, en Galilée, qui devint le centre des instances religieuses reconstituées. Les vestiges de plus de cinquante synagogues identifiées en Galilée et sur les hauteurs du Golan témoignent de l’ampleur de la renaissance de la culture artistique de l’époque. (Pour l’architecture de ces édifices, cf. SYNAGOGUE.) Cette renaissance concernait aussi la décoration des édifices, bien que dans ce domaine les informations soient incomplètes, car, à quelques rares exceptions près, les murs des bâtiments ne sont pas conservés. L’hypothèse de salles de prière décorées de peintures ne peut pas être rejetée. Les fragments de fresques provenant du quartier résidentiel de Jérusalem ou de Massada montrent que la pratique était répandue. Quelques allusions du Talmud de Jérusalem (‘Aboda Zara III, 1 et 3), autorisant peintures et mosaïques à des fins esthétiques, se référaient probablement à des réalisations concrètes. Une seule synagogue, à Doura-Europos, dont les murs sont conservés sur presque toute leur hauteur, a livré le plus grand ensemble de peintures murales de l’Antiquité.Cette ville périphérique de l’Empire, située sur les bords de l’Euphrate, à vocation à la fois militaire et économique, fut fondée par Nicanor, général de Séleucos Ier. Passée sous domination parthe (en 113 avant notre ère), puis romaine (165), la ville succomba à l’attaque des Sassanides en 256, qui la détruisirent et déportèrent ses habitants. Lors des travaux de fortification entrepris pour se protéger de l’attaque des Sassanides, quelques édifices, situés près du rempart de la ville, furent entièrement remblayés de sable. Grâce à cette opération de défense, les murs de ces édifices furent en partie conservés, et parmi eux ceux d’une synagogue, découverte en 1932.La première synagogue, installée à la fin du IIe siècle, dans une demeure privée fut considérablement agrandie vers 244-245 de notre ère. Lors de ce remaniement, la décoration de la salle fut également modifiée. Des peintures de la première synagogue, seules celles qui décorent l’extrados du ciborium (baldaquin placé au-dessus de la niche de la Tora) furent conservées. Lors du remaniement, on ajouta autour de la salle trois registres de peintures illustrant un choix d’épisodes bibliques. Les peintures de Doura-Europos offrent les plus anciens exemples connus d’une traduction en images du texte biblique. De plus, la complexité des compositions suggère que les peintres travaillèrent à partir de modèles. La mise en images du texte sacré serait donc antérieure au milieu du IIIe siècle. En outre, de nombreux éléments de ces peintures sont intimement liés à la littérature rabbinique, ce qui mène à la conclusion que les modèles provenaient également de milieux juifs. Des thèmes bibliques dans les monuments et manuscrits chrétiens n’étant attestés qu’à partir des IVe-Ve siècles, l’antériorité des illustrations juives de la Bible paraît incontestable. Plusieurs arguments suggèrent de chercher le berceau de cet art dans la région d’Antioche. Les peintures de la synagogue de Doura-Europos offrent également le plus ancien exemple connu d’une décoration programmée dans une salle à vocation religieuse: au point principal de la salle se trouve une composition chargée d’un message symbolique – ici, l’image du Temple dont la reconstruction est attendue à l’ère messianique –, les peintures sur les parois latérales explicitent cette symbolique par un choix d’épisodes de l’Histoire sainte. Dans les églises chrétiennes, de telles décorations à programme ne sont connues qu’à partir du Ve siècle.Dans les synagogues galiléennes, la pièce maîtresse de la décoration était la mosaïque des pavements. Le style et une partie du répertoire ornemental sont en harmonie avec l’art romain de l’époque. Toutefois, par l’ajout de thèmes spécifiques – la représentation de l’arche de la Tora et des accessoires du culte –, l’art juif adapta ces compositions à son univers intellectuel. Grâce à ces nouveaux éléments, les mosaïques des salles de prière offraient une image hiérarchique de l’Univers sur trois niveaux superposés: au niveau inférieur, un épisode biblique faisant allusion au monde des hommes; des symboles planétaires et les emblèmes des saisons occupent le niveau médian, l’un et l’autre étant surmontés par un ensemble de symboles religieux, évoquant la sphère du divin qui domine et régit les mondes cosmique et humain. Les exemples mis au jour varient quant au style, à la finesse de l’exécution, et divergent même par certains éléments de l’iconographie. Les mosaïques les mieux conservées sont celles de Hammath, près de Tibériade (début du IVe siècle), et de Beit (ou Beth) Alpha (datée de 518 ou 527). Une mosaïque découverte en 1993 à Sepphoris (IVe siècle) présente la même composition, enrichie de scènes bibliques.Un autre type de composition allégorique décore les mosaïques pavements des synagogues du sud de la Palestine, à Gaza et à Ma’on, et une église à Shellal, toutes œuvres du même atelier. Des «rinceaux habités», nommés aussi la «vigne du Seigneur», présentent dans les enroulements symétriques d’une vigne des motifs végétaux, des oiseaux, d’autres animaux. Une figure biblique, David jouant de la harpe à Gaza, ou un symbole, le candélabre à sept branches à Ma’on, signalent la destination de la salle. En Judée, les mosaïques d’En-Geddi (fin du Ve siècle) et de Jéricho (VIIIe siècle) annoncent, par l’appauvrissement du répertoire ornemental et de la technique, les signes d’un déclin que la politique hostile des empereurs byzantins puis les bouleversements entraînés par la conquête arabe ne firent qu’accélérer.Le Moyen Âge: les manuscrits à peintureLe livre manuscrit avait un rôle fondamental dans la survie et l’épanouissement de la tradition juive. Assurant la sauvegarde de la langue sacrée, véhicule unique de tout l’héritage religieux, scientifique et littéraire, le livre fabriqué à la main, libre des contraintes sociales qui souvent entravèrent le développement des arts majeurs [cf. SYNAGOGUE], devint aussi le support privilégié des aspirations esthétiques.La décoration des manuscrits commença encore en Orient. Les rares exemplaires conservés de bibles décorées se signalent par la forte influence de l’art arabe sur les motifs ornementaux et leur style. Toutefois, les symboles spécifiques de l’art juif sont toujours présents. Dans un Pentateuque fait en Égypte ou en Palestine en 929 (ms. II, 17, Bibl. nationale, Saint-Pétersbourg), le texte est précédé par deux plans du Tabernacle du désert. Ces deux peintures attestent la survie d’une tradition iconographique juive séculaire, connue par diverses réalisations – peinture murale, mosaïque, fonds de verre dorés – et qui apparaît ici transposée dans le langage pictural sobre et dépouillé de l’Orient.À partir du XIIe siècle, la vie intellectuelle des communautés juives prit un nouvel essor en Occident. Des communautés vivant en Castille, en Catalogne, en France, dans les villes germaniques et italiennes produisirent des manuscrits en tout genre, en particulier des manuscrits enluminés. La diversification régionale fut importante, et ne concernait pas seulement le style, mais aussi le genre des manuscrits et les thèmes iconographiques. Les premiers manuscrits à peintures proviennent de Castille. À Tolède – où les Juifs prirent une part active dans les grandes entreprises de traduction encouragées par le roi Alphonse le Sage (1252-1285) –, parmi les modèles importés se trouvaient aussi des codex hébreux d’Orient. Les peintures des bibles copiées à Tolède se signalent par leur style oriental, et par la reprise de la tradition consistant à faire précéder le texte biblique de deux peintures représentant le mobilier du Temple. La composition subit de profondes modifications; aux indications spatiales se substitua une mise en page abstraite, mais la signification symbolique demeura identique: évoquer le centre spirituel du judaïsme en exergue à l’Écriture. Cette tradition fut poursuivie en Catalogne jusqu’au XVe siècle, avec des modifications stylistiques pour en adapter le langage à l’art local. En Catalogne également, le rituel de la Pâque (Haggada), objet d’un livre autonome, fut volontiers décoré de peintures. Le texte du rituel était souvent précédé d’une série d’illustrations bibliques, comme dans les psautiers latins. Mais l’influence des psautiers ne concernait que l’organisation du livre, l’iconographie des scènes provenait d’une autre source. De nombreuses affinités avec les peintures de Doura-Europos et les illustrations de l’Antiquité tardive suggèrent qu’il s’agissait d’une résurgence de traditions anciennes. On décorait aussi des livres scientifiques, et la collaboration des artistes chrétiens peut plus d’une fois être attestée, notamment dans une copie du Mishneh Tora de Maïmonide (Bibl. royale, cod. hebr., XXXVII, Copenhague) dont les peintures s’apparentent aux œuvres de l’atelier dit du Maître de Saint-Marc. Au début du XVe siècle, l’hostilité croissante du contexte politique influença aussi l’iconographie: un olivier, se référant à la prophétie messianique de Zacharie (IV, 1-14), fut ajouté à la composition du mobilier du Temple pour entretenir l’espoir en la délivrance. L’atelier de manuscrits de Lisbonne fut le dernier à fonctionner sur la péninsule Ibérique. La trentaine de manuscrits produits à Lisbonne entre 1470-1496 témoignent de la haute perfection technique qu’avait atteint l’art de l’enluminure. La décoration d’une bible de grand format (Bibliothèque nationale de France, ms. hébr. 15, Paris), commencée à Lisbonne et interrompue sans doute lors de l’expulsion des Juifs (1497), fut achevée dans l’atelier du maître florentin Attavante.En France, l’expulsion des Juifs, dès 1306, interrompit brusquement une activité artistique prometteuse. L’un des plus beaux manuscrits hébreux à peintures provient du nord de la France, il date des années 1280 (Add. ms. 11639, British Library, Londres). Les quarante peintures qu’il renferme se distinguent par leur iconographie riche et originale, et leur style est proche de celui du peintre parisien Maître Honoré.Dans les villes germaniques, l’enluminure des manuscrits est caractérisée par l’extrême diversité des thèmes, par l’originalité de l’iconographie, parfois au détriment de la qualité de l’exécution. Un foisonnement d’êtres hybrides, de monstres ou de figures légendaires, tracés en traits fermes, rehaussés de couleurs franches, anime les livres liturgiques (mahzor ) de grand format, exécutés pour l’usage synagogal. Au début du XIVe siècle, deux techniques d’ornementation non figurative étaient répandues: la micrographie – écriture minuscule dont les lignes forment les contours des motifs – et le filigrane, ornement tracé à la plume, à l’encre de couleur, dont l’usage est également attesté dans les manuscrits produits dans les villes du monde germanique. L’art de l’enluminure subit un arrêt brusque en 1348, en raison de la Peste noire et des persécutions que le fléau suscita. Au XVe siècle, on produisit encore des rituels de Pâque de petit format, dont les marges sont animées des scènes bibliques enrichies d’éléments légendaires.La prospérité économique des communautés juives d’Italie eut un effet bénéfique sur le nombre et la qualité des manuscrits enluminés. À Rome, à Ferrare, à Florence, à Venise, les riches banquiers firent volontiers exécuter des manuscrits dont la qualité est souvent excellente. La contribution d’artistes non juifs peut plus d’une fois être démontrée. Tel est le cas de l’un des plus beaux manuscrits hébreux, un recueil de textes (ms. 180/51, musée d’Israël, Jérusalem), dont chacun des cinq cents feuillets comporte un petit tableau, d’une technique raffinée. L’œuvre est attribuée à Leonardo Bellini, de l’illustre famille de peintres, actif à Venise durant les dernières décennies du XVe siècle.À partir de la fin du XVe siècle, la progression fulgurante du livre imprimé supplanta rapidement le manuscrit. Des motifs ornementaux, des thèmes d’illustration élaborés par les peintres des manuscrits, furent repris dans les éditions gravées des rituels et des bibles. L’une des plus florissantes imprimeries de livres hébraïques fut celle que l’Anversois Daniel Bomberg installa à Venise.Du baroque à l’époque contemporaine: les objets rituelsLa création d’objets rituels fut stimulée d’une façon générale par les autorités religieuses. Les fêtes, avec les objets qui les servent et les ornements qui les entourent, fournirent aux communautés dispersées un cadre établi en tout lieu selon les mêmes principes, pour une vie liturgique réglée selon un rythme partout identique.Dans le mobilier synagogal, le souvenir du Temple est omniprésent. L’armoire de la Tora, nommée aron , le rideau ou parokhet , suspendu devant celle-ci, portent les mêmes noms que leurs prototypes dans le sanctuaire biblique. D’autres objets y furent progressivement ajoutés, les grenades protégeant les extrémités des axes sur lesquels s’enroule le rouleau de la Tora; des plaques indiquant les fêtes, que l’on suspend sur les rouleaux revêtus de leurs ornements. Parmi les objets destinés aux célébrations domestiques, il faut citer: des luminaires pour le sabbat; des lampes à brûleurs multiples pour la fête de Hanouka (ou Hanukka) qui commémore la victoire des Maccabées sur les Séleucides; des boîtes à aromates pour la cérémonie de clôture du sabbat; des plats de faïence ou d’argent pour les repas de fête. Dans les familles riches, on fit confectionner des reliures revêtues du blason de la famille, des contrats de mariage décorés, des étuis précieux pour les rouleaux du Livre d’Esther. Ce patrimoine, dont la connaissance fut longtemps entravée par l’extrême dispersion des objets, devient peu à peu accessible depuis 1989 grâce à la réouverture, dans les pays d’Europe centrale et de l’Est, des archives et des musées.Pendant le Moyen Âge, l’accès aux corporations ayant été interdit dans la plupart des pays aux artisans juifs, le véritable essor de cet artisanat ne commença qu’au XVIIe-XVIIIe siècle. Il existait néanmoins des exceptions. Les archives d’Espagne ont livré des milliers de noms de tisserands, de teinturiers, de couteliers, de potiers et d’orfèvres juifs. Mais seules quelques pièces éparses ont survécu. La plus riche production fut celle des villes italiennes, Mantoue, Venise, Gênes. On connaît aussi quelques noms d’orfèvres, tel Samson Schiff de Mannheim, actif à Trieste vers 1852-1857.Au XVIIIe siècle, dans les pays germaniques, les ateliers de Francfort, d’Augsbourg, de Nuremberg, qui appartenaient à des maîtres chrétiens, travaillèrent pour des clients juifs. Selon les archives de Prague, les Juifs furent autorisés à pratiquer l’orfèvrerie dans la ville dès le XVIe siècle. En Bohême, l’artisanat le plus renommé fut la broderie. L’argenterie y fleurit également, ainsi que les verres à décor peint – artisanat propre à la Bohême –, dont l’iconographie illustre les activités des sociétés de charité, fondées en 1564, à Prague.En France, quand la Révolution abolit les corporations, les orfèvres juifs furent libres de pratiquer leur art. Ils fournissaient les hautes classes de la société, mais travaillèrent aussi pour une clientèle juive. Maurice Mayer, orfèvre de l’époque de Napoléon III, réalisa un étui de rouleau de Tora en style rococo, au décor repoussé et doré sur fond ciselé.En Russie, l’artisanat juif fleurit surtout au XIXe siècle, à Zitomir, à Kiev, à Odessa et à Moscou. En 1837, des artisans juifs participèrent à l’exposition de bijoux de Kiev. À partir du milieu du XIXe siècle, la majorité des ateliers de bijoux appartenaient à des maîtres juifs. L’atelier de Sachoder, à Berditchev, se distingua sur les marchés annuels d’Odessa, de Varsovie et de Vilna (Vilnius), et exporta jusqu’en Autriche et en Turquie. Cet artisanat florissant fut interrompu par la Première Guerre mondiale, puis disparut.Aux États-Unis, l’égalité politique et juridique de tous les citoyens étant garantie par la Constitution, les orfèvres juifs furent libres de pratiquer leur art pour des clients de toute religion. Myer Myers (1723-1795), l’un des plus célèbres orfèvres d’Amérique, fut président de la Société des orfèvres de New York. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les artisans s’efforcent de créer des objets rituels, à l’usage communautaire et domestique, répondant aux normes de l’esthétique nouvelle. On appliqua les principes du Bauhaus, éliminant tout ornement n’ayant pas un rôle fonctionnel, tout en intégrant les symboles traditionnels.Un effort similaire s’observe en Israël, dans le cadre de l’école Betsalel, fondée par le sculpteur d’origine lituanienne Boris Schatz (1867-1932). La confection d’objets rituels occupait une place importante dans le programme de l’école, afin de fournir aux nouvelles synagogues un mobilier et des objets en harmonie avec le style des édifices. Alors que les arts majeurs – la peinture et la sculpture – se détachèrent de la tradition pour suivre des trajectoires individuelles, l’artisanat au service de la tradition demeure vivant, et se renouvelle grâce à des ajustements stylistiques qui l’adaptent à l’esthétique contemporaine.
Encyclopédie Universelle. 2012.